L'autre jour, j'étais au téléphone avec un parent d'élève qui me
parlait des difficultés de son enfant dans la matière. On discute,
j'écoute ses arguments, son enfant travaille, mais il n'y arrive pas.
Puis, il finit par me lâcher « il ne faut pas oublier que le
basque, ce n'est qu'une option ». Dans un sens, je confirme, le
basque est une option (et pas « qu'une »), j'en ai
totalement conscience, ils ont des heures supplémentaires, du
travail supplémentaire, la majorité des élèves ne choisissent pas
de la prendre. Et le parent continue « Donc, moi, mon enfant
quand il me dit que dès le premier cours il veut arrêter par-ce que
vous travaillez du vocabulaire, que vous leur faites voir l'alphabet,
ça m'inquiète un peu. Vous savez, vous devriez leur faire des
choses plus ludiques, moins lourdes... »
Alors, pour commencer, merci pour vos conseils, j'apprécie de
constater que le simple fait d'être parent permet certainement de
juger la cohérence d'une matière enseignée par une personne
diplômée et formé pour, je n'hésiterai donc pas à vous appeler
avant ma future inspection pour que vous me prépariez. Puis, je suis
désolée, mais le mot « option » ne signifie pas que
c'est une garderie. On est à l'école, et je suis la première à
détester le système scolaire, le bourrage de crane et tout ce qui
s'en suit, mais la matière que j'ai choisi d'enseigner, aussi
facultative soit-elle, est une vraie matière, en fait. Si vous et
vos enfants espériez danser le fandango sur les tables, jouer au mus
en buvant des patxaran et faire de la pelote avec des piments
d'Espelette en colliers, je ne pourrais pas aider, je ne sais rien
faire de tout ça.
Mais je ne peux pas blâmer les parents d'élèves et leurs enfants,
en tout cas, pas uniquement eux. C'est le système entier qui méprise
l'enseignement du basque et quand je dis ça, je ne joue pas à la
victime, je parle de discrimination. (Je ne vais ici que parler de la
matière scolaire et pas de la langue basque en général, j'en ai
déjà parlé une autre fois et ce serait trop confus.)
Je me souviens par exemple, quand je préparais mon CAPES avoir
demandé de l'aide pour préparer mon premier cours de stage à une
amie de ma mère elle-même enseignante. Elle se prétendait
communiste (et donc, par rapport à ma logique, anti-capitaliste), et
m'avait dit « franchement, le basque au primaire, j'en vois pas
trop l'intérêt. C'est très bien, mais il vaudrait mieux qu'ils
apprennent bien le français et dès l'enfance l'anglais, puis on
verra après pour les autres langues, non ? » Elle avait
exprimé le fond de sa pensée, et je ne peux pas lui reprocher sa
sincérité. Mais se permettre de rabaisser ce que j'étudie, ce que
je me prépare à faire comme métier avec autant de liberté, ça
m'avait tellement choqué que j'avais été incapable de lui répondre
quelque chose de cohérent.
Plus tard, quand j'étais néo-titulaire, nous avions eu une
formation avec tous les nouveaux profs des Pyrénées Atlantiques.
C'était l'époque de je ne sais plus quelle réforme qui inquiétait
tout le monde. En particulier moi, car le basque n'était mentionné
dans aucun texte. J'avais partagé ma situation avec mes collègues
et les formateurs, qui m'avaient tous répondu (après avoir passé
la mâtiné à me dire « ça se voit que tu es prof de basque
vu ton accent, heeeein !»... le truc qui n'a rien à voir.) :
« ah mais de toutes façons, le basque est voué à
disparaître ». Du coup, je me suis levée et suis partie, je
ne voyais pas l'intérêt de suivre une formation pour quelque chose
qui est voué à ne plus être.
Au travail, il y a plusieurs points de vues, certains sont tout à
fait conscients du problème, d'autres ont encore du mal. L'exemple
le plus courant c'est lors des conseils de classes. En général, vu
que je n'enseigne « qu'une option », j'ai la chance
d'avoir moins d'élèves que mes collègues, malheureusement,
souvent, ce sont des groupes qui sont dispersés dans plusieurs
classes. Ce qui signifie que je me tape une quantité de conseils de
30 élèves pour 10 que je connais. Ce n'est pas grave, il y a pire
dans la vie. Mais lorsque je déplore le niveau de certains élèves,
on me répond souvent : « oui, mais dans les matières
fondamentales, ça marche plutôt bien ». Alors, c'est quoi une
matière fondamentale ? Certainement une matière qui sert à
quelque chose et qui sera importante dans la vie de quelqu'un ?
On va donc tabler sur les maths, le français, l'histoire géo voir
l'anglais, je suppose ? Et on dégage tout ce qui est lié à
l'art et les options, évidemment. Très honnêtement, les maths,
j'ai jamais compris l'intérêt. Ça fait partie des matières
élitiste, être bon en maths, ça donne l'impression d'être
quelqu'un de carré et de sérieux, mais ça sert à quoi ? Le
théorème de Pythagore par exemple, à part à l'école qui l'a déjà
utilisé s'il ne fait pas un métier lié à ça ? Moi, jamais.
Et pour avoir eu cette conversation avec du monde, je sais que je ne
suis pas la seule. Alors après, venir me voir et me dire que le
basque au Pays Basque, ça sert à rien, ça me fait doucement rire.
Ça permet seulement de communiquer avec des gens... Évidemment, si
on veut, on peut s'en passer. Mais cracher dessus, alors qu'un jour
ou un autre, tous ont été confrontés à quelqu'un qui leur a parlé
en basque, je trouve ça triste, en plus du fait qu'on passe à côté
d'un pan de son environnement quotidien. Juger l'utilité d'une
matière est très subjectif selon les gouts, les aspirations d'une
personne. Mais, juger une langue, la dévaluer, discréditer
l'enseignant parce que c'est une langue minoritaire, c'est de la
discrimination.
Ce que je raconte là n'est qu'une infime partie de mon quotidien, je
ne compte plus les fois où j'ai bouillonné, me suis mordu la langue
pour ne pas insulter l'autre ou pleurer, car je sais que ce sera moi
qui passera pour la sectaire aux idées arrêtées. Pourtant je parle
de respect. Pour enseigner mon option de merde, pas fondamentale, qui
sert à rien, j'ai passé le même concours que mes collègues et en
plus, vu que « le basque est voué à disparaître »,
j'ai du en passer deux en même temps. (demandez à des profs autour
de vous, c'est costaud, quand même) Ce qui veut dire que je suis
supposée être capable d'enseigner le basque et le français (quand
on voit mes fautes, on peut en douter). Dans le fond, on s'en fout,
mais je parle de légitimité. Je ne me sens jamais à ma place, je
dois tout le temps justifier ce que je fais, je dois tout le temps me
battre pour excuser l'intérêt d'une matière, ce qui prouve que
l'acceptation de la langue basque n'est vraiment pas acquise.
Donc les gars, vu qu'en France vous vous souhaitez la bonne année
jusqu'à mi-mars, n'hésitez pas à prendre la bonne résolution
d'être un peu plus tolérants cette année.