jeudi 5 avril 2018

Lettre à l'ado que j'étais





Idoia,

Si je ne me trompe pas tu es en 3ème et as vécu tes premiers émois au concert de Kyo (le batteur t'a fait “coucou” oui, je m'en souviens), tu chantes l'album Bidean de Ken Zazpi avec tes copines en rêvant secrètement de I. de 3.A. Tu es encore traumatisée car les garçons ont arraché le poster de Drazic que vous aviez affiché dans la classe et qu'ils lui aient dessiné une croix gammée sur le front. Tu n'écoutes pas en cours de maths car tu es trop occupée a gommer les culs en string que dessine T. sur ton cahier ou à écrire des petits mots à M. au sujet d'une bande de garçons de la plage, des abdos de je ne sais quel volleyeur et du potentiel de sexytude de Mallefoy et de Harry Potter. De l'extérieur, il semblerait que vous ayez les hormones qui vous travaillent beaucoup, à toi et ta petite bande. Tu n'aimes pas qu'on te prenne pour une fille superficielle, qu'on se moque de tes Converses dans ton dos, même si tu admets avoir passé quatre heures au téléphone avec ta meilleure amie pour savoir quoi mettre dans la valise de ton voyage scolaire à Londres, deux mois avant le départ. Tu t'es disputé avec A. l'an dernier et ça a été ta première vraie rupture, vous ne vous reparlerez plus jamais, et le fait d'y penser encore aujourd'hui prouve que tu t'étais entièrement et surement trop engagée dans cette amitié, finalement, comme dans tes relations, en général.
Je vais te dire,
Tout d'abord, tes gouts musicaux sont douteux et ne s'arrangeront pas dans les années qui suivront. Je ne peux pas renier ce que tu aimes, car je danserai dessus volontiers dès que j'aurai trois verres dans le nez mais bon... Tu connais plein d'autres choses, tu t’intéresses à plein d'artistes, mais tu n'as encore trouvé personne à qui en parler. Malheureusement, ça empirera, car bientôt, dans deux ans, tu feras ta baboche, tu écouteras du Tryo en sarouel dans l'herbe avec tes amis du lycée. La honte. 

Puis, tes inquiétudes semblant surtout se matérialiser dans la quête du parfait Clark Kent qui fera vibrer la Lana Lang qui vit en toi, je ne ferai pas durer le suspens plus longtemps : même si le petit copain idéal (bad boy au cœur tendre avec un skate sous le bras, un piercing à l'arcade...) n'existe pas, oui, tu auras des soupirants. Non tu n'es pas un monstre détestable et oui tu es digne d'intérêt. Arrête de t'identifier à des personnes à qui tu ne ressembles pas, je t'assure qu'il t'arrivera assez de choses pour que tu finisse par t'asseoir sur tes principes. D'ailleurs : tu es bourrée de principes. C'est vrai que pour ton jeune age, il y a des choses que tu as bien mieux compris que d'autres. Tu as le sens de l'injustice aigu et tu n'hésites pas à t'insurger. Mais tu es lourde parfois. Tu te dis athée et tu as pourtant une vision du monde ultra catho, je ne sais pas d'où ça te vient. La monogamie, la fête, les drogues, les tatouages, l'idée que tu te fais de certaines personnes... détends-toi, car, finalement, au moins une fois, tu ne respecteras pas ce que tu t'es infligée comme ligne de conduite. Aujourd'hui tu ne t'imposes plus beaucoup de règles préétablies et tu ne dors pour autant pas sur un matelas recouvert de pisse dans une usine désaffectée, une seringue au bras, des chiens dévorant les cadavres de tes camarades morts de froid dans la nuit (quelle douce et fantaisiste imagination tu as...). 

La colère est toujours là mais tu en as conscience. Tu la domptes, même si elle est coriace. Tu sais quoi ? Je dois te dire quelque chose qui te fera plaisir du haut de tes quatorze ans : Tu as raison.
Si tu sens que l'on te cache quelque chose, que tu te construis sur un mensonge, ce n'est pas pour rien : c'est le cas. Il faudra malheureusement que tu attendes encore bien longtemps pour comprendre l'origine de tes crises de colères, de l'instabilité de ta relation avec tes parents, de ton besoin absolu de vérité et de pureté mais ce n'est pas de ta faute. Tes réactions ont souvent été disproportionnées et tu en fais voir de toutes les couleurs à ta mère et ta grand mère. Cette dernière n'en a pas fini et toi non plus avec elle. C'est dommage, vous avez commencé à vous calmer et à comprendre qu'être ensemble était précieux beaucoup trop tard. Je peux te dire que ton attitude est nulle mais tu le sais, tu n'en n'es pas fière. Tu n'es pas encore prête à te remettre en question et de toutes façons, tant que tu n'as pas toutes les cartes en mains, je crois que ça ne sert à rien. Ça viendra, la bestiole qui est en nous, on réussira à la dompter un jour, pour l'instant elle ressort lorsqu'on est bourrées. (Je suis navrée de t'apprendre que tes longs discours de Amish anti alcool se casseront la gueule une fois arrivée au lycée). 

Autre aspect sur lequel je t'admire avec du recul, c'est ta lucidité pour comprendre les situations et saisir les gens. Tu sens rapidement à qui tu as à faire et tu te tromperas rarement au sujet de ceux qui t'entourent. Tu vois les gens que tu ne supportes pas maintenant ? A l'excepté d'une ou deux personnes, tu ne les supporteras pas dans quinze ans. En revanche lorsque tu te tromperas, ce sera avec force et violence, des grosses erreurs de jugement qui t'aveugleront et te donneront le goût de sang dans la bouche, qui te feront flirter avec la névrose et la passion dévastatrice. Ca s'arrangera, ça ainsi les moments de solitude, de faiblesse et d'impuissance que tu peux ressentir parfois, ce n'est pas un état permanent. Je sais, c'est bien facile à dire, mais tu n'es pas seule et tu es aimée. C'est lorsque je regarde ce qu'on a traversé, que je me dis qu'on s'en est sorties que je sais que je suis capable d'avancer. 

Enfin, j'ai une mauvaise nouvelle concernant ton image. Les années qui viennent seront plus difficiles encore pour t'intégrer et faire l'unanimité au sein d'un groupe ou d'une communauté. On te fera quotidiennement sentir qu'on te prend pour une conne, une coquille vide, une fille frivole prétentieuse et hautaine qui a peu de centres d'intérêt hormis le maquillage et assortir ses vêtements roses. Je sais que tu te dis « les cons, je les emmerde » et tu as raison. C'est comme ça que tu continueras à réfléchir, jusqu'au moins aux jours où j'écris ces lignes. Tu es mal tombée, tu as croisé des gens pas sympas qui t'ont pris de haut. Paradoxalement, c'est à cette période que tu feras les plus belles rencontres de ta vie et que tu lieras les amitiés les plus solides et constantes de la décennie (et demi) à venir. Dans quelques années, crois-le ou non, mais des gens seront ravis de parler avec toi de ce qui te plait, de ce qui t'émeut. Ton opinion intéressera et comptera. Cultive ton originalité, ta particularité, c'est ça qui te permettra de faire des rencontres riches et improbables. Tu es entière, tu fais les choses avec passion, et c'est tout en ton honneur, même si parfois tu défends tes idées un peu trop fort.

Pour finir, je voudrais te rassurer, te dire que tu es pleine de ressources, vraiment. Avec du recul, je sais bien que cette carapace de grande gueule pleine de principes nous a permis de tenir le coup et de filer droit, c'est une autodiscipline remarquable et je te remercie, car je ne serais pas aussi bien dans mes bottes si tu ne les avais pas portées avec autant de droiture. Je me demande souvent comment tu me verrais de tes yeux d'ado et j'espère que je ne te déçois pas trop. Les années qui viennent, tu vas beaucoup pleurer mais beaucoup plus rire. Tu vas te lancer des défis et te surpasser, te surprendre régulièrement. Non, tu ne deviendras pas chanteuse-actrice-machin, mais je crois qu'on peut être fières de notre parcours. Tu te souviens de la fois, petite, où tata Josée nous avait demandé ce que nous voulions faire dans la vie et que nous lui avions répondu « professeure et écrivaine » ? Ben, si on y réfléchit un peu, on n'est pas loin-loin.

P.S : La pâte fimo pour faire des perles pour cheveux, c'est beurk.
P.S.2 : Respecte tes profs de basque, tu risques de les recroiser régulièrement.
P.S.3 : EHZ 2006 : les txupit de vodka et le Nutella, ne se marient pas. Tu es avertie...
P.S.4 : Ta mère a raison, t'es jolie, souris!