Idoia,
Si je ne me trompe pas tu es en 3ème et as vécu tes premiers émois
au concert de Kyo (le batteur t'a fait “coucou” oui, je m'en
souviens), tu chantes l'album Bidean de Ken Zazpi avec tes copines en
rêvant secrètement de I. de 3.A. Tu es encore
traumatisée car les garçons ont arraché le poster de Drazic que
vous aviez affiché dans la classe et qu'ils lui aient dessiné une
croix gammée sur le front. Tu n'écoutes pas en cours de maths car
tu es trop occupée a gommer les culs en string que dessine T. sur
ton cahier ou à écrire des petits mots à M. au sujet d'une bande
de garçons de la plage, des abdos de je ne sais quel volleyeur et du
potentiel de sexytude de Mallefoy et de Harry Potter. De l'extérieur,
il semblerait que vous ayez les hormones qui vous travaillent
beaucoup, à toi et ta petite bande. Tu n'aimes pas qu'on te prenne
pour une fille superficielle, qu'on se moque de tes Converses dans ton dos, même si tu admets avoir
passé quatre heures au téléphone avec ta meilleure amie pour
savoir quoi mettre dans la valise de ton voyage scolaire à Londres,
deux mois avant le départ. Tu t'es disputé avec A. l'an dernier et
ça a été ta première vraie rupture, vous ne vous reparlerez plus
jamais, et le fait d'y penser encore aujourd'hui prouve que tu
t'étais entièrement et surement trop engagée dans cette amitié,
finalement, comme dans tes relations, en général.
Je vais te dire,
Tout d'abord, tes gouts musicaux sont douteux et ne s'arrangeront pas
dans les années qui suivront. Je ne peux pas renier ce que tu aimes, car je danserai dessus volontiers dès que j'aurai trois verres dans le nez
mais bon... Tu connais plein d'autres choses, tu t’intéresses à
plein d'artistes, mais tu n'as encore trouvé personne à qui en
parler. Malheureusement, ça empirera, car bientôt, dans deux ans,
tu feras ta baboche, tu écouteras du Tryo en sarouel dans l'herbe
avec tes amis du lycée. La honte.
Puis, tes inquiétudes semblant surtout se matérialiser dans la
quête du parfait Clark Kent qui fera vibrer la Lana Lang qui vit en
toi, je ne ferai pas durer le suspens plus longtemps : même si
le petit copain idéal (bad boy au cœur tendre avec un skate sous le
bras, un piercing à l'arcade...) n'existe pas, oui, tu auras des
soupirants. Non tu n'es pas un monstre détestable et oui tu es digne
d'intérêt. Arrête de t'identifier à des personnes à qui tu ne
ressembles pas, je t'assure qu'il t'arrivera assez de choses pour que
tu finisse par t'asseoir sur tes principes. D'ailleurs : tu es
bourrée de principes. C'est vrai que pour ton jeune age, il y a des
choses que tu as bien mieux compris que d'autres. Tu as le sens de
l'injustice aigu et tu n'hésites pas à t'insurger. Mais tu es
lourde parfois. Tu te dis athée et tu as pourtant une vision du
monde ultra catho, je ne sais pas d'où ça te vient. La monogamie,
la fête, les drogues, les tatouages, l'idée que tu te fais de
certaines personnes... détends-toi, car, finalement, au moins une
fois, tu ne respecteras pas ce que tu t'es infligée comme ligne de
conduite. Aujourd'hui tu ne t'imposes plus beaucoup de règles
préétablies et tu ne dors pour autant pas sur un matelas recouvert
de pisse dans une usine désaffectée, une seringue au bras, des
chiens dévorant les cadavres de tes camarades morts de froid dans la nuit
(quelle douce et fantaisiste imagination tu as...).
La colère est toujours là mais tu en as conscience. Tu la domptes,
même si elle est coriace. Tu sais quoi ? Je dois te dire
quelque chose qui te fera plaisir du haut de tes quatorze ans :
Tu as raison.
Si tu sens que l'on te cache quelque chose, que tu te construis sur
un mensonge, ce n'est pas pour rien : c'est le cas. Il faudra
malheureusement que tu attendes encore bien longtemps pour comprendre
l'origine de tes crises de colères, de l'instabilité de ta relation
avec tes parents, de ton besoin absolu de vérité et de pureté mais
ce n'est pas de ta faute. Tes réactions ont souvent été
disproportionnées et tu en fais voir de toutes les couleurs à ta
mère et ta grand mère. Cette dernière n'en a pas fini et toi non plus
avec elle. C'est dommage, vous avez commencé à vous calmer et à
comprendre qu'être ensemble était précieux beaucoup trop tard. Je
peux te dire que ton attitude est nulle mais tu le sais, tu n'en n'es
pas fière. Tu n'es pas encore prête à te remettre en question et
de toutes façons, tant que tu n'as pas toutes les cartes en mains,
je crois que ça ne sert à rien. Ça viendra, la bestiole qui est en
nous, on réussira à la dompter un jour, pour l'instant elle ressort
lorsqu'on est bourrées. (Je suis navrée de t'apprendre que tes
longs discours de Amish anti alcool se casseront la gueule une fois
arrivée au lycée).
Autre aspect sur lequel je t'admire avec du recul, c'est ta lucidité
pour comprendre les situations et saisir les gens. Tu sens rapidement
à qui tu as à faire et tu te tromperas rarement au sujet de ceux
qui t'entourent. Tu vois les gens que tu ne supportes pas
maintenant ? A l'excepté d'une ou deux personnes, tu ne les
supporteras pas dans quinze ans. En revanche lorsque tu te tromperas,
ce sera avec force et violence, des grosses erreurs de jugement qui
t'aveugleront et te donneront le goût de sang dans la bouche, qui te
feront flirter avec la névrose et la passion dévastatrice. Ca
s'arrangera, ça ainsi les moments de solitude, de faiblesse et
d'impuissance que tu peux ressentir parfois, ce n'est pas un état
permanent. Je sais, c'est bien facile à dire, mais tu n'es pas seule
et tu es aimée. C'est lorsque je regarde ce qu'on a traversé, que
je me dis qu'on s'en est sorties que je sais que je suis capable d'avancer.
Enfin, j'ai une mauvaise nouvelle concernant ton image. Les années
qui viennent seront plus difficiles encore pour t'intégrer et faire
l'unanimité au sein d'un groupe ou d'une communauté. On te fera
quotidiennement sentir qu'on te prend pour une conne, une coquille
vide, une fille frivole prétentieuse et hautaine qui a peu de
centres d'intérêt hormis le maquillage et assortir ses vêtements
roses. Je sais que tu te dis « les cons, je les emmerde »
et tu as raison. C'est comme ça que tu continueras à réfléchir,
jusqu'au moins aux jours où j'écris ces lignes. Tu es mal tombée,
tu as croisé des gens pas sympas qui t'ont pris de haut.
Paradoxalement, c'est à cette période que tu feras les plus belles
rencontres de ta vie et que tu lieras les amitiés les plus solides
et constantes de la décennie (et demi) à venir. Dans quelques
années, crois-le ou non, mais des gens seront ravis de parler avec
toi de ce qui te plait, de ce qui t'émeut. Ton opinion intéressera
et comptera. Cultive ton originalité, ta particularité, c'est ça
qui te permettra de faire des rencontres riches et improbables. Tu es
entière, tu fais les choses avec passion, et c'est tout en ton
honneur, même si parfois tu défends tes idées un peu trop fort.
Pour finir, je voudrais te rassurer, te dire que tu es pleine de
ressources, vraiment. Avec du recul, je sais bien que cette carapace
de grande gueule pleine de principes nous a permis de tenir le coup
et de filer droit, c'est une autodiscipline remarquable et je te
remercie, car je ne serais pas aussi bien dans mes bottes si tu ne
les avais pas portées avec autant de droiture. Je me demande souvent
comment tu me verrais de tes yeux d'ado et j'espère que je ne te
déçois pas trop. Les années qui viennent, tu vas beaucoup pleurer
mais beaucoup plus rire. Tu vas te lancer des défis et te surpasser,
te surprendre régulièrement. Non, tu ne deviendras pas
chanteuse-actrice-machin, mais je crois qu'on peut être fières de
notre parcours. Tu te souviens de la fois, petite, où tata Josée
nous avait demandé ce que nous voulions faire dans la vie et que nous
lui avions répondu « professeure et écrivaine » ?
Ben, si on y réfléchit un peu, on n'est pas loin-loin.
P.S : La pâte fimo pour faire des perles pour cheveux, c'est
beurk.
P.S.2 : Respecte tes profs de basque, tu risques de les
recroiser régulièrement.
P.S.3 : EHZ 2006 : les txupit de vodka et le Nutella, ne
se marient pas. Tu es avertie...
P.S.4 : Ta mère a raison, t'es jolie, souris!