mercredi 16 janvier 2019

“Ce n'est qu'une option”





L'autre jour, j'étais au téléphone avec un parent d'élève qui me parlait des difficultés de son enfant dans la matière. On discute, j'écoute ses arguments, son enfant travaille, mais il n'y arrive pas. Puis, il finit par me lâcher « il ne faut pas oublier que le basque, ce n'est qu'une option ». Dans un sens, je confirme, le basque est une option (et pas « qu'une »), j'en ai totalement conscience, ils ont des heures supplémentaires, du travail supplémentaire, la majorité des élèves ne choisissent pas de la prendre. Et le parent continue « Donc, moi, mon enfant quand il me dit que dès le premier cours il veut arrêter par-ce que vous travaillez du vocabulaire, que vous leur faites voir l'alphabet, ça m'inquiète un peu. Vous savez, vous devriez leur faire des choses plus ludiques, moins lourdes... »
Alors, pour commencer, merci pour vos conseils, j'apprécie de constater que le simple fait d'être parent permet certainement de juger la cohérence d'une matière enseignée par une personne diplômée et formé pour, je n'hésiterai donc pas à vous appeler avant ma future inspection pour que vous me prépariez. Puis, je suis désolée, mais le mot « option » ne signifie pas que c'est une garderie. On est à l'école, et je suis la première à détester le système scolaire, le bourrage de crane et tout ce qui s'en suit, mais la matière que j'ai choisi d'enseigner, aussi facultative soit-elle, est une vraie matière, en fait. Si vous et vos enfants espériez danser le fandango sur les tables, jouer au mus en buvant des patxaran et faire de la pelote avec des piments d'Espelette en colliers, je ne pourrais pas aider, je ne sais rien faire de tout ça.


Mais je ne peux pas blâmer les parents d'élèves et leurs enfants, en tout cas, pas uniquement eux. C'est le système entier qui méprise l'enseignement du basque et quand je dis ça, je ne joue pas à la victime, je parle de discrimination. (Je ne vais ici que parler de la matière scolaire et pas de la langue basque en général, j'en ai déjà parlé une autre fois et ce serait trop confus.)
Je me souviens par exemple, quand je préparais mon CAPES avoir demandé de l'aide pour préparer mon premier cours de stage à une amie de ma mère elle-même enseignante. Elle se prétendait communiste (et donc, par rapport à ma logique, anti-capitaliste), et m'avait dit « franchement, le basque au primaire, j'en vois pas trop l'intérêt. C'est très bien, mais il vaudrait mieux qu'ils apprennent bien le français et dès l'enfance l'anglais, puis on verra après pour les autres langues, non ? » Elle avait exprimé le fond de sa pensée, et je ne peux pas lui reprocher sa sincérité. Mais se permettre de rabaisser ce que j'étudie, ce que je me prépare à faire comme métier avec autant de liberté, ça m'avait tellement choqué que j'avais été incapable de lui répondre quelque chose de cohérent.
Plus tard, quand j'étais néo-titulaire, nous avions eu une formation avec tous les nouveaux profs des Pyrénées Atlantiques. C'était l'époque de je ne sais plus quelle réforme qui inquiétait tout le monde. En particulier moi, car le basque n'était mentionné dans aucun texte. J'avais partagé ma situation avec mes collègues et les formateurs, qui m'avaient tous répondu (après avoir passé la mâtiné à me dire « ça se voit que tu es prof de basque vu ton accent, heeeein !»... le truc qui n'a rien à voir.) : « ah mais de toutes façons, le basque est voué à disparaître ». Du coup, je me suis levée et suis partie, je ne voyais pas l'intérêt de suivre une formation pour quelque chose qui est voué à ne plus être.
Au travail, il y a plusieurs points de vues, certains sont tout à fait conscients du problème, d'autres ont encore du mal. L'exemple le plus courant c'est lors des conseils de classes. En général, vu que je n'enseigne « qu'une option », j'ai la chance d'avoir moins d'élèves que mes collègues, malheureusement, souvent, ce sont des groupes qui sont dispersés dans plusieurs classes. Ce qui signifie que je me tape une quantité de conseils de 30 élèves pour 10 que je connais. Ce n'est pas grave, il y a pire dans la vie. Mais lorsque je déplore le niveau de certains élèves, on me répond souvent : « oui, mais dans les matières fondamentales, ça marche plutôt bien ». Alors, c'est quoi une matière fondamentale ? Certainement une matière qui sert à quelque chose et qui sera importante dans la vie de quelqu'un ? On va donc tabler sur les maths, le français, l'histoire géo voir l'anglais, je suppose ? Et on dégage tout ce qui est lié à l'art et les options, évidemment. Très honnêtement, les maths, j'ai jamais compris l'intérêt. Ça fait partie des matières élitiste, être bon en maths, ça donne l'impression d'être quelqu'un de carré et de sérieux, mais ça sert à quoi ? Le théorème de Pythagore par exemple, à part à l'école qui l'a déjà utilisé s'il ne fait pas un métier lié à ça ? Moi, jamais. Et pour avoir eu cette conversation avec du monde, je sais que je ne suis pas la seule. Alors après, venir me voir et me dire que le basque au Pays Basque, ça sert à rien, ça me fait doucement rire. Ça permet seulement de communiquer avec des gens... Évidemment, si on veut, on peut s'en passer. Mais cracher dessus, alors qu'un jour ou un autre, tous ont été confrontés à quelqu'un qui leur a parlé en basque, je trouve ça triste, en plus du fait qu'on passe à côté d'un pan de son environnement quotidien. Juger l'utilité d'une matière est très subjectif selon les gouts, les aspirations d'une personne. Mais, juger une langue, la dévaluer, discréditer l'enseignant parce que c'est une langue minoritaire, c'est de la discrimination.
Ce que je raconte là n'est qu'une infime partie de mon quotidien, je ne compte plus les fois où j'ai bouillonné, me suis mordu la langue pour ne pas insulter l'autre ou pleurer, car je sais que ce sera moi qui passera pour la sectaire aux idées arrêtées. Pourtant je parle de respect. Pour enseigner mon option de merde, pas fondamentale, qui sert à rien, j'ai passé le même concours que mes collègues et en plus, vu que « le basque est voué à disparaître », j'ai du en passer deux en même temps. (demandez à des profs autour de vous, c'est costaud, quand même) Ce qui veut dire que je suis supposée être capable d'enseigner le basque et le français (quand on voit mes fautes, on peut en douter). Dans le fond, on s'en fout, mais je parle de légitimité. Je ne me sens jamais à ma place, je dois tout le temps justifier ce que je fais, je dois tout le temps me battre pour excuser l'intérêt d'une matière, ce qui prouve que l'acceptation de la langue basque n'est vraiment pas acquise.
Donc les gars, vu qu'en France vous vous souhaitez la bonne année jusqu'à mi-mars, n'hésitez pas à prendre la bonne résolution d'être un peu plus tolérants cette année.