vendredi 8 mars 2019

La journée de la femme








1977, au siège des Nations Unies.

- Bon les gars, je dois vous lire une proposition des féministes qui veulent.... 
- Allez ça y est ça recommence, elles veulent quoi encore les chiennes enragées ?
- Non, Robert, s'il te plait, surveille ton langage, je te rappelle qu'on écrit des rapports sur nos réunions. Je reprends, donc les féministes voudraient une journée pour parler des droits des femmes. Ça fait depuis 1909 qu'elles fêtent cette journée et elles souhaitent que ce soit officialisé dans le monde entier... 
- J'ai du mal à comprendre, Michel, elles veulent quoi au juste les femmes ? Elles peuvent quasiment partout voter, elles peuvent quasiment partout conduire, divorcer, il leur faut quoi d'autre ? 
- Mais... 
- C'est clair, et que je n'entende pas parler d'égalité salariale, sans déconner, elles ne peuvent pas faire le même métier que nous, vous avez déjà vu une femme maçon ? Non ! Normal ! Elles ne savent même pas planter un clou ! 
- Attendez, attendez, Michel, t'es en train de nous dire que les femmes veulent UN jour par an pour parler des droits des femmes ? Ecoutez, pourquoi pas, ça va nous donner bonne conscience, chaque année on n'aura qu'à rédiger des rapports sur des trucs genre le nombre de femmes qui ont porté plainte pour viol ou violence conjugale qu'un transmettra aux médias, tout le monde va être choqué cinq minutes et on passera à autre chose. 
- Pas bête Haruki, mais tu ne penses pas que c'est ouvrir la porte aux féminazis pour d'autres revendications ? Par-ce-que désolée, le viol, ok, c'est pas cool, et si on touche un cheveu de ma fille, jte jure, je lui coupe les couilles et lui retourne la peau et en fais de abats-jours pour décorer mon chalet en Suisse, mais de là à se centrer sur les violences domestiques... Enfin, sérieusement, qui n'a pas été en colère car le rôti n'était pas assez cuit... ? 
- C'est vrai, Karl a raison, une torgnole de temps en temps, c'est pas la mer à boire... 
- J'irais plus loin messieurs, il faut aussi voir dans quelle condition une femme a été « violée » ! Maintenant tout est viol. Si on cautionne ce genre de journée, vous verrez, dans 40 ans, on ne pourra plus mettre une main au cul pépouz dans la rue sans se faire passer pour un vicelard. La femme qui se fait violer elle le cherchait, elle a certainement accosté avec une jupe trop courte ou un regard trop suggestif. Moi je suis sûr que tous ces « viols » démarrent d'un énorme malentendu. Ou alors ce sont des chaudasses qui se rétractent à la dernière minute... Il faudrait plutôt créer une journée pour que les femmes apprennent à rester à leur place et qu'elles arrêtent de foutre leur nez partout.
- Ouais ! Puis comment on saurait que les rapports de police ne sont pas truqués ? Il y a tellement de femmes qui vont porter plainte pour viol juste pour se faire remarquer... 
- Mais...
- Attendez, mes amis, je suis d'accord avec tout ça, mais concrètement, ne pensez-vous pas que la journée de la femme ne serait pas l'occasion pour faire marcher nos industries ? D'un point de vue capitaliste, ce serait parfait de communiquer sur cette date pour que les hommes offrent des fleurs à leurs femmes, mère, et tuti-cuanti pour faire marcher l'industrie du parfum, de la restauration, de l'électroménager et que sais-je ! On passe notre temps à dire aux femmes qu'elles doivent se faire belle, ce sera une occasion de plus pour les faire sortir et pour qu'elles fassent un tour chez l'esthéticienne car elles se sentent moches! J'y vois là une excellente opportunité pour célébrer la femme sous toute sa splendeur et quelle est la meilleure façon de la célébrer ? Avec un diamant mes amis, vous savez bien, diamonds are girl's best friends ! 
- Enzo, tu sais, c'est du génie ce que tu dis... tu es brillant au point de m'émouvoir. 
- Merci Igor, ça me va droit au cœur... 
- Mais ! 
- Bon du coup il faudrait caler une date, elles en disent quoi les meufs ? 
- Elles parlent du 8 mars.... 
- Ah non, ça c'est pas possible, c'est juste après la Saint Valentin, les gens sont pas cons à ce point ils vont pas retomber dans le panneau de la consommation un mois après... ! Il faut changer la date ! 
- Ahahahahahah
- Ahahaha, l'autre là « il faut changer la date » 
- Jojojojojo « les gens sont pas cons » ! Jorge, il faudrait que tu t'écoutes !! 
- Mais ! 
- Mais, mais, mais quoi Bernardo, exprime toi bordel, qu'est-ce-qui te fait chier ? 
- Mais vous ne pensez pas qu'on a un gros souci ? Déjà « journée de la femme » c'est hyper péjoratif, on dirait qu'il n'y a qu'une femme, à l'image d'une princesse Disney et qu'elle n'a droit qu'à une journée... Je trouve ça dégelasse. Et puis on est en train d'instrumentaliser tout le monde là, vous ne pensez pas plutôt qu'au lieu de mettre plein d'argent sur de la communication hypocrite il ne serait pas mieux de revoir les valeurs éducatives qu'on transmet à nos élèves, à nos enfants et à travailler plus sur l'égalité des genres dès la petite enfance ? Qu'il vaudrait mieux se dire qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre les hommes et les femmes, que tout est lié à l'acquisition et pas à la génétique ? Que ces revendications ne doivent pas se limiter à l'égalité salariale ou aux droits parentaux, ce qui me semble être le minimum mais que toute la société - les hommes comme les femmes - doit refuser au quotidien qu'un autre individu soit traités différemment car il n'a pas le même sexe... quand on y pense, c'est ridicule, c'est comme le romantisme, pourquoi on tient la porte à une femme ? C'est comme si on le faisait à une personne par-ce-qu'elle est noire... Ça n'a pas de bon sens... 
- Ah ne commence pas avec tes noirs ! Pardon Mohamed mais bon... 
- J'ai rien compris. 
- Il n'est pas un peu PD ce Bernardo ? 
- Bon, bon, allez, on n'a cas rebaptiser cette journée la journée « internationale des droits des femmes » et puis voilà. Karl, tu te charges de lobbies du chocolat, Gustavo des journalistes, Jean - Francis et Kunzang vous inventez des chiffres choquants mais pas trop sur la déscolarisation, prostitution féminine et tout le tralala et Jamad tu vois avec les chefs des états pour les rallier au projet. Au pire s'il faut stigmatiser quelqu'un ce sera les pays musulmans. Ben, quoi, faites pas cette gueule, on s'était mis d'accord pour que vous soyez les coupables de tout pour 80 prochaines décennies ! 
- Merci Michel, on a bien bossé ! 
- Christine, apporte le café!

Nous sommes aujourd'hui en 2019, sur 196 états (193 membres officiels) j'ai compté 31 ambassadrices. Ce qui fait un pourcentage de 15,81% de femmes membres de l'ONU. Je vous laisse en tirer les conclusions que vous souhaiterez. 




( et sinon, ça c'est la pub que je vois sur la route le matin en ce moment)  

mercredi 16 janvier 2019

“Ce n'est qu'une option”





L'autre jour, j'étais au téléphone avec un parent d'élève qui me parlait des difficultés de son enfant dans la matière. On discute, j'écoute ses arguments, son enfant travaille, mais il n'y arrive pas. Puis, il finit par me lâcher « il ne faut pas oublier que le basque, ce n'est qu'une option ». Dans un sens, je confirme, le basque est une option (et pas « qu'une »), j'en ai totalement conscience, ils ont des heures supplémentaires, du travail supplémentaire, la majorité des élèves ne choisissent pas de la prendre. Et le parent continue « Donc, moi, mon enfant quand il me dit que dès le premier cours il veut arrêter par-ce que vous travaillez du vocabulaire, que vous leur faites voir l'alphabet, ça m'inquiète un peu. Vous savez, vous devriez leur faire des choses plus ludiques, moins lourdes... »
Alors, pour commencer, merci pour vos conseils, j'apprécie de constater que le simple fait d'être parent permet certainement de juger la cohérence d'une matière enseignée par une personne diplômée et formé pour, je n'hésiterai donc pas à vous appeler avant ma future inspection pour que vous me prépariez. Puis, je suis désolée, mais le mot « option » ne signifie pas que c'est une garderie. On est à l'école, et je suis la première à détester le système scolaire, le bourrage de crane et tout ce qui s'en suit, mais la matière que j'ai choisi d'enseigner, aussi facultative soit-elle, est une vraie matière, en fait. Si vous et vos enfants espériez danser le fandango sur les tables, jouer au mus en buvant des patxaran et faire de la pelote avec des piments d'Espelette en colliers, je ne pourrais pas aider, je ne sais rien faire de tout ça.


Mais je ne peux pas blâmer les parents d'élèves et leurs enfants, en tout cas, pas uniquement eux. C'est le système entier qui méprise l'enseignement du basque et quand je dis ça, je ne joue pas à la victime, je parle de discrimination. (Je ne vais ici que parler de la matière scolaire et pas de la langue basque en général, j'en ai déjà parlé une autre fois et ce serait trop confus.)
Je me souviens par exemple, quand je préparais mon CAPES avoir demandé de l'aide pour préparer mon premier cours de stage à une amie de ma mère elle-même enseignante. Elle se prétendait communiste (et donc, par rapport à ma logique, anti-capitaliste), et m'avait dit « franchement, le basque au primaire, j'en vois pas trop l'intérêt. C'est très bien, mais il vaudrait mieux qu'ils apprennent bien le français et dès l'enfance l'anglais, puis on verra après pour les autres langues, non ? » Elle avait exprimé le fond de sa pensée, et je ne peux pas lui reprocher sa sincérité. Mais se permettre de rabaisser ce que j'étudie, ce que je me prépare à faire comme métier avec autant de liberté, ça m'avait tellement choqué que j'avais été incapable de lui répondre quelque chose de cohérent.
Plus tard, quand j'étais néo-titulaire, nous avions eu une formation avec tous les nouveaux profs des Pyrénées Atlantiques. C'était l'époque de je ne sais plus quelle réforme qui inquiétait tout le monde. En particulier moi, car le basque n'était mentionné dans aucun texte. J'avais partagé ma situation avec mes collègues et les formateurs, qui m'avaient tous répondu (après avoir passé la mâtiné à me dire « ça se voit que tu es prof de basque vu ton accent, heeeein !»... le truc qui n'a rien à voir.) : « ah mais de toutes façons, le basque est voué à disparaître ». Du coup, je me suis levée et suis partie, je ne voyais pas l'intérêt de suivre une formation pour quelque chose qui est voué à ne plus être.
Au travail, il y a plusieurs points de vues, certains sont tout à fait conscients du problème, d'autres ont encore du mal. L'exemple le plus courant c'est lors des conseils de classes. En général, vu que je n'enseigne « qu'une option », j'ai la chance d'avoir moins d'élèves que mes collègues, malheureusement, souvent, ce sont des groupes qui sont dispersés dans plusieurs classes. Ce qui signifie que je me tape une quantité de conseils de 30 élèves pour 10 que je connais. Ce n'est pas grave, il y a pire dans la vie. Mais lorsque je déplore le niveau de certains élèves, on me répond souvent : « oui, mais dans les matières fondamentales, ça marche plutôt bien ». Alors, c'est quoi une matière fondamentale ? Certainement une matière qui sert à quelque chose et qui sera importante dans la vie de quelqu'un ? On va donc tabler sur les maths, le français, l'histoire géo voir l'anglais, je suppose ? Et on dégage tout ce qui est lié à l'art et les options, évidemment. Très honnêtement, les maths, j'ai jamais compris l'intérêt. Ça fait partie des matières élitiste, être bon en maths, ça donne l'impression d'être quelqu'un de carré et de sérieux, mais ça sert à quoi ? Le théorème de Pythagore par exemple, à part à l'école qui l'a déjà utilisé s'il ne fait pas un métier lié à ça ? Moi, jamais. Et pour avoir eu cette conversation avec du monde, je sais que je ne suis pas la seule. Alors après, venir me voir et me dire que le basque au Pays Basque, ça sert à rien, ça me fait doucement rire. Ça permet seulement de communiquer avec des gens... Évidemment, si on veut, on peut s'en passer. Mais cracher dessus, alors qu'un jour ou un autre, tous ont été confrontés à quelqu'un qui leur a parlé en basque, je trouve ça triste, en plus du fait qu'on passe à côté d'un pan de son environnement quotidien. Juger l'utilité d'une matière est très subjectif selon les gouts, les aspirations d'une personne. Mais, juger une langue, la dévaluer, discréditer l'enseignant parce que c'est une langue minoritaire, c'est de la discrimination.
Ce que je raconte là n'est qu'une infime partie de mon quotidien, je ne compte plus les fois où j'ai bouillonné, me suis mordu la langue pour ne pas insulter l'autre ou pleurer, car je sais que ce sera moi qui passera pour la sectaire aux idées arrêtées. Pourtant je parle de respect. Pour enseigner mon option de merde, pas fondamentale, qui sert à rien, j'ai passé le même concours que mes collègues et en plus, vu que « le basque est voué à disparaître », j'ai du en passer deux en même temps. (demandez à des profs autour de vous, c'est costaud, quand même) Ce qui veut dire que je suis supposée être capable d'enseigner le basque et le français (quand on voit mes fautes, on peut en douter). Dans le fond, on s'en fout, mais je parle de légitimité. Je ne me sens jamais à ma place, je dois tout le temps justifier ce que je fais, je dois tout le temps me battre pour excuser l'intérêt d'une matière, ce qui prouve que l'acceptation de la langue basque n'est vraiment pas acquise.
Donc les gars, vu qu'en France vous vous souhaitez la bonne année jusqu'à mi-mars, n'hésitez pas à prendre la bonne résolution d'être un peu plus tolérants cette année.