vendredi 29 janvier 2016

Les rastas anonymes part II

 Première partie: Ici!

Suite et fin du témoignage édifiant d'Alex, un mec qui revient de loin...
 

Il paraît qu'il est de coutume dans la communauté de rastas de consommer de l'alcool, des drogues douces voir hallucinogènes, pouvez vous nous en dire plus sur votre expérience ?
Pour ma part, j'ai commencé comme tout le monde, en buvant de la bière bon marché dégueulasse. Du moins, je croyais que c'était ce que tout le monde faisait, et c'est pour ça que je me forçais. A l'époque, je ne savais pas que la bière pouvait se présenter sous une autre forme que dans des bouteilles en plastique d'un litre et demi. Je ne savais pas non plus qu'elle pouvait être bue fraiche, et avec des bulles. Celles que consomment les rastas ont un goût de pisse. Pourtant, j'avais fini par m'habituer à cette odeur âpre qui allait jusqu'à envahir ma casquette-bonnet en coton jaune vert rouge. Et, je me suis aussi accoutumé à cette haleine d'alcool frelatée, même après avoir bu qu'une seule gorgée. Pourquoi m'être infligé ça ? Pourquoi en avoir bu autant, de jour comme de nuit ? Ce sont des questions qui me tourmentent, et qui resteront sans réponse.
J'aimerais à présent aborder une expérience bien plus douloureuse, et j'accepte que vous me censuriez si vous ne la supportez pas. Tout a commencé lors d'une banale soirée tamtam autour d'un feu de bois. Nous étions tous assis en rond et l'un d'entre nous a roulé un joint. Ils se sont tous fait passer ce « bédo », et dans la folie de l'action, j'ai tiré dessus... J'ai tout de suite trouvé ça absolument ignoble. Je n'avais jamais fumé et le goût ne me plaisait pas. L'horrible produit me procura vite une drôle de sensation au bout des doigts. Le pire, c'est que j'ai toussé, et que tout le monde s'est moqué. « Aha, il crapote »-ont ils lancé. Du coup, je n'ai rien dit à personne quand j'ai senti ma tête tourner, et retourner dans tous les sens. Je croyais que j'allais m’évanouir, je me voyais m'enfoncer dans le sol. De plus, j'avais des sueurs froides et honte, je voulais vomir. Mais, l'avantage quand on traine avec ce genre de personne, c'est qu'une fois assis à même le sol, on ne peut pas facilement les faire bouger, et ils ne font attention à rien. Alors, j'ai enfoui ma tête entre mes dreads, je me suis couvert avec mon sarouel, et personne n'a remarqué mon bad trip. Pourtant, je me suis énormément remis en question. Si j'étais un rasta, si j'avais vraiment foi en Jah, il fallait absolument que j'accepte l'idée de me mettre à fumer des joints. Moi aussi, je voulais passer mes journées à « stoner » devant la télé un pétard à la main. Moi aussi je voulais que mes vêtements sentent la beuh, et moi aussi je voulais avoir la flemme de bouger de chez moi par ce que j'étais trop calé. Je voulais profiter de la vie, la vraie, en communion totale avec mes frères. Malgré mon réel désir, mon corps n'a pas pu accepter le cannabis. J'ai fini par me rendre à l'évidence après avoir enchainé trois crises blanches, coup sur coup, quand je m'entrainais à fumer en cachette. J'ai fini à chaque fois, caché de tous, derrière les immeubles abandonnés de mon quartier, couché, les mains moites agrippées au joint, voyant ma vie défiler, incapable de me relever, ni de respirer correctement. J'ai cru devenir fou, je crois sincèrement que vous avez face à vous un rescapé. Oui, je reviens de loin. Il fallait que je trouve un subterfuge, et même si je devais mentir à mes pairs, même si je suis sur que Jah aurait souhaité autre chose pour moi, je ne voyais pas d'autre solution pour pouvoir enfin m'intégrer. J'avais peur, je ne voulais pas me retrouver seul.
Je me suis alors acheté plusieurs briquets avec des têtes de lions ou dotés de la carte d'Afrique dans la station service du coin. Après, je me suis mis à ne fumer que des cigarettes roulées, c'était ce que faisaient les anti « shitstem », et ça me permettait d'avoir toujours des feuilles pour ceux qui en avaient besoin. Afin de tout de même avoir les yeux rouges, et pour sentir le renfermé, j'avais pris l'habitude de fumer de l'herbe séchée venant de la pelouse du voisin. Les gens n'y voyaient que du feu, on me prenait pour un gros stone, on m'engueulait, on me conseillait d'arrêter, on me disait que je ferais mieux de me calmer.

Justement, quel élément a été un déclic pour vous, et vous a fait réaliser la fatalité de la situation ?
Bon. J'ai encore du mal à parler de ce que je m’apprête à vous dire, bien que ça se soit produit il y a quelques années déjà. Je dois préciser qu'a l'époque mes dreads arrivaient à mes genoux. C'était après un concert de Papa Style et Baldas et on était tous au bord de la plage. J'étais en train de jongler quand des amis ont pris la voiture. Quand ils ont démarré, j'ai réalisé que mes dreads s'étaient prises dans la portière. Elles se sont violemment arrachées et j'ai souffert le martyr. Grâce à Jah, euh, Dieu, pardon, vieux réflexe, ils roulaient à 2 à l'heure. Mais ma coiffure était malheureusement fichue en l'air et c'était avec grand regret que j'ai du me raser la tête. A partir de là, j'ai perçu dans le regard des autres que quelque chose avait changé. Je n'étais plus des leurs.
J'ai passé des semaines dans le noir à écouter Root System. Oui, bien entendu, j'avais pensé porter une perruque, mais j'avais l'impression d'être un imposteur. Bref, vous comprenez bien qu'après être tombé aussi bas, je n'avais plus qu'une solution. Tout plaquer. C'était dur mais je tenais à la vie, et je me disais qu'il fallait le prendre comme un mal pour un bien. J'étais donc prêt à tout, même à changer la déco de mon apart et à enlever mon drapeau « jah rastafari »
J'ai pris contact avec les Rastas anonymes il y a 3ans. Ca a été long et laborieux. J'ai du tout d'abord jeter tous mes disques. Même ceux de Sinsemilia. Mon parrain, l'homme qui m'aide a sortir la tête de l'eau, m'a forcé à écouter d'autres choses. Ca m'a rendu fou, j'étais désorienté. Je n'entendais plus le rythme qui est présent dans toutes les musique de reggae. Je croyais être au bout de ma vie. Puis, j'ai du éviter tout ce qui était jaune, vert ou rouge. Trop risqué. Finies les salades au trois poivrons. Mais aussi les lions et les cendriers avec des feuilles de cannabis. J'avais l'impression de me renier et que la rechute était inévitable. Mais j'étais allée tellement loin les années précédentes que je ne pouvais pas guérir en faisant dans la demi mesure.

Et aujourd'hui, comment vous sentez-vous ?
Aujourd'hui, j'ai retrouvé ma véritable identité. Loin de tous ces tam-tam et de la puanteur des pieds nus. Il m'arrive même de sortir dans des vrais bars le soir. Je porte des jeans, et je me rase parfois. Je ne marche plus en canard et je m'évite les tics de langage avec les mots « yo » et « man ». Je suis très fier, même si le chemin n'a pas été facile. J'avoue que parfois j'ai des moments de faiblesse, mais il faut que je m'accroche au quotidien. Par exemple, des fois, quand je me sens mal, je me dis que Zaz est mignonne. Puis, je me ressaisis. Les rastas anonymes sont toujours là pour me soutenir.
Quand je pense à tous ces jeunes et moins jeunes qui clament l'hymne de nos campagnes, évidemment, j'ai peur. Mais je ne désespère pas. On peut revenir de tout. Même du pire. Même du reggae.

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