Au
chômage depuis trois mois, sa journée s'était organisée autour de
son rendez-vous avec sa conseillère du Pole emploi. Elle y était
allée pour lui expliquer que ses recherches étaient toujours au
point mort et qu'elle ne trouvait rien dans son domaine. Elle avait
pourtant un master en psychologie, mais même à Paris, elle n'avait
rien de convenable, hormis quelques remplacements qui ne lui
correspondaient guère. Elle essaya de prouver à son interlocutrice
que sa motivation n'était pas à remettre en cause dans sa
recherche. Elle tenta de lui faire comprendre qu'à 25 ans, devoir
retourner dans sa chambre d'ado chez ses parents n'était pas un
projet qu'elle avait envisagé quand elle avait entamé ses études.
Elle entrepris de lui prouver qu'elle préférait sincèrement se
lever pour quelque chose qui l'animait, plutôt que d'être fauchée
et rester à glander devant la télé tous les jours. Mais sa
conseillère n'écoutait rien, elle lui rappelait étrangement sa
professeur de SVT au lycée : elle ne la croyait pas réellement
intéressée et motivée par le sujet. Elle voulait la punir, ça se
voyait dans ses expressions. Elle plissait légèrement les yeux et
pinçait la bouche en l'écoutant parler. La conseillère lui
reprocha de ne pas faire de formation, et lui rappela qu'elle pouvait
tout de même faire l'effort de se trouver un petit boulot en
attendant. Elle la revoyait tapoter sur son ordinateur. « Là,
vous voyez, vous avez un poste d'agent de sécurité dans le 18ème.
Vous ferez le filtrage, des rondes d'accès... C'est un CDD, mais
renouvelable
-Ce
n'est pas ce que j'ai envie de faire, répondit-elle du tac au tac.
- Eh
bien avec tant de mauvaise volonté, ne vous étonnez pas si l'on
vous enlève vos aides au bout d'un moment. On ne fait pas toujours
ce qu'on veut. »
Elle
n'avait aucune envie d'argumenter. Elle n'avait aucune envie de lui
dire que si elle avait fait cinq ans d'études dans une filière
spécifique ce n'était pas pour faire agente de sécurité, ne
serait-ce que l'espace de trois jours. Elle avait encore une dignité,
elle ne la salirait pas pour de l'argent. Elle savait que son point
de vue était méprisé, qu'elle se faisait passer pour une feignasse
qui se laissait porter par la société, mais ce n'était pas de sa
faute si cette prétendue société ne lui proposait rien qui lui
correspondait. Elle n'avait aucune intention de se plier à ce
chantage, et même si elle souffrait de vivre chez ses parents, même
si elle se sentait vue comme une inadaptée, une marginale, comme un
gros boulait qu'il fallait contrôler et dépanner, elle se refusait
d'être agente de sécurité. Chacun son truc.
Il
était 16h quand elle quitta le Pôle Emploi et qu'elle prit le
métro, puis le RER pour rejoindre sa maison. C'étaient les heures
de pointe, mais elle était trop frustrée par son rendez-vous pour
se laisser déranger par la foule. Elle était debout, le regard posé
sur ce jeune couple qui n'arrêtait pas de s'embrasser. Elle se
sentait incomprise, et même si elle avait conscience de penser de
manière ridicule, elle trouvait que rien ne tournait rond. Elle
était une victime persécutée par le monde entier, personne ne
l'aimait. Pas de boulot, pas d'appart, pas de mec. Comment peut-on
être plus nulle ? Elle regarda son portable à plusieurs
reprises, personne n'avait pris de ses nouvelles. Elle faisait
défiler les images de son Facebook, qui la rongèrent encore plus.
Ses amis postaient des images de leurs vies bien remplies :
leurs voyages, leurs projets, leurs achats. Elle ne pouvait rien se
permettre de tout ça, elle se sentait au point mort. Elle n'avait
qu'une hâte, rentrer dans sa chambre et se cacher sous sa couette,
même si il faisait beau et chaud. Sinon, elle pouvait se prendre une
grosse cuite qui la clouerait au lit pour trois jours, ou, mieux, se
faire un marathon des quatre saisons de Newport Beach jusqu'à la fin
de la semaine. C'étaient ses deux remèdes doudou depuis presque dix
ans, et vu qu'elle n'était qu'une chômeuse, qu'une pariât de la
communauté, elle avait du temps à tuer.
C'est
à ce moment là qu'elle remarqua qu'un homme, debout face à elle,
la dévisageait avec insistance. Ce n'était pas la première fois
que ça arrivait, mais elle préféra détourner le regard. Elle
trouvait toujours ces manières très intrusives, mais elle finit par
le regarder furtivement. Il se lécha les lèvres de manière
équivoque en la dévisageant. « Beurk »-se dit-elle en
son fort intérieur « encore un pourri». Puis, elle tira sur
sa jupe, pour cacher ses jambes, comme si elle avait quelque chose à
se reprocher. Elle regardait par terre, fixait un point dans le vide,
préférant l'ignorer.
« He !
Salut toi ! T'es mignonne tu sais ! » Le mec en
question s'était mis à lui parler. Sa voix était assez forte,
quelques personnes sursautèrent étonnées, puis, repartirent dans
leurs pensées. Elle fit comme si elle ne comprenait pas qu'il
s'adressait à elle, continua de fixer son point imaginaire.
« He
ho ! C'est à toi que je cause ! Tu sais que t'es bonne
dans ta petite jupe moulante ? »
Elle
était terriblement mal à l'aise, elle farfouilla dans son sac, en
quête de ses écouteurs, afin de ne plus l'entendre parler, mais
elle ne les trouva pas. En désespoir de cause, elle repris son
portable et fit défiler ses mails pour la énième fois en vingt
minutes.
« Dis
donc ! C'est pas par ce que t'es bonne que tu dois me bêcher la
miss! Tu préfères pas que je t'amène à l’hôtel et que je te
défonce par tous les trous ? » Autour d'elle les gens
baissaient le regard, ils étaient aussi gênés qu'elle. Elle se
sentait rougir, et ses mains devinrent particulièrement moites. Elle
aurait souhaité que quelqu'un le fasse taire. Cet homme qui lisait
son journal aurait pu se lever et prendre la parole, ou même ce
groupe de jeunes qui riait fort il n'y avait même pas deux minutes,
ou ce couple qui semblait subitement absorbé par une tache sur le
strapontin. Mais personne ne dit rien.
Elle
ne pouvait compter que sur elle pour riposter :
« Laissez
moi tranquille »-Murmura t'elle.
«Sois
pas farouche, je vais m'occuper de toi comme il faut, t'inquiètes ».
« Putain,
je fais quoi ?- pensait-elle- Il me reste encore huit stations
avant de sortir, c'est l'heure de pointe, si je retourne sur le quai,
j'en aurais encore pour une heure trente avant de rentrer chez moi.
D'un autre côté, il commence à vraiment me mettre mal à l'aise ».
Il fit
un pas vers elle, il se faufilait entre les gens, il n'était plus
qu'à une cinquantaine de centimètres d'elle. Elle s'agrippa à sa
barre, elle sentait la nausée monter. « Ne t'angoisses pas, tu
n'es pas seule, il ne pourra rien faire avec tout ce monde autour.
C'est juste de la provocation, ne fais pas attention ». C'est
alors que l'homme lui saisit la main avec force. Puis, d'un geste
machinal, il lui fit faire des allés-retours suggestifs sur la barre
de métro. Elle avait beau essayer de dégager sa main, il était
physiquement plus fort qu'elle et la pression était beaucoup trop
grande pour qu'elle puisse sortir de son emprise. Elle voulait crier,
lui dire de cesser, mais elle n'arrivait pas à parler. Elle sentait
sa gorge nouée par de gros sanglots prêts à sortir. Elle détourna
le regard, les secondes devenaient interminables. Les gens atour
étaient devenus invisibles, autant que la scène leur semblait
inobservable. On aurait dit qu'il ne se passait rien d'anormal.
Le
visage de l'homme n'était plus qu'à quelques centimètres du sien,
quand il lui souffla tout en lui continuant de lui saisir la main
« Allez, fais pas ta pute, montre moi ta chatte ! »
Elle
essaya de nouveau de se dégager, elle voulait sortir à l'arrêt
suivant mais elle était glacée, comme pétrifiée. Elle avait beau
se démener, elle n'arrivait pas à reprendre suffisamment de forces
dans ce combat silencieux. C'est à ce moment là, que tout en lui
gardant la main plaquée à la barre, qu'il lui remonta la jupe, et
inséra son autre main dans sa culotte. Le geste ne dura que quelques
secondes, juste le temps d'explorer son anatomie. Pour elle, le temps
s'arrêta. Sa vue se brouilla soudainement, et elle se senti envahie
par la honte. Elle vit comme un objet, son intimité exposée à tout
le monde. Elle suppliait les gens du regard. A sa gauche, une jeune
femme assise fit semblant de dormir, et mis son pull sur les yeux,
une vieille dame sembla soudainement absorbée par son dernier roman
de Marc Lévy, et, elle remarqua un jeune costaud augmenter le son de
ses écouteurs. Personne ne réagissait. La rame était silencieuse,
paisible. Elle voyait les immeubles et les tags de la périphérie
défiler à toute allure, elle voyait les dernières lueurs du soleil
percer les nuages et se poser sur cette jeune femme au visage cachée
sous son tricot. « Achevez-moi ».
Elle
avait l'impression d'être sortie de son corps, que ce qui se passait
n'était pas réel, qu'elle finirait par se réveiller.
Le
métro s'arrêta à sa halte, l'homme sortit immédiatement la main
de sa culotte, elle baissait les yeux, elle ne voulait pas qu'il voit
qu'elle pleurait, elle ne voulait pas qu'il croit qu'il avait pris le
dessus sur elle. Elle lui aurait bien craché à la gueule, mais il
partit sans se retourner, en sifflant la marseillaise. Elle se
retrouva en plein milieu de la rame de métro, sa jupe relevée, les
jambes chancelantes, le cœur battant à la chamade. Personne n'osa
croiser son regard, personne ne lui dit un mot, personne ne lui céda
sa place. Elle finit son trajet debout, silencieuse, choquée, sa
main toujours accrochée à sa barre qu'elle avait branlé une
vingtaine de secondes. Finalement, peut-être que les gens n'avaient
rien vu ? Tout avait été si rapide, peut-être qu'ils
n'avaient pas remarqué qu'il lui avait pris la main avec force, et
qu'il avait furtivement plongé la main dans sa culotte ? Non.
Elle savait très bien que ce genre de geste n'était pas anodin, et
qu'il se distinguait des autres. Elle savait très bien que tout le
monde avait vu.
Elle
rentra chez elle salie, honteuse, coupable, en colère. Elle se
doucha plusieurs fois, se jura de ne plus jamais remettre de jupe,
puis, regarda Newport Beach.
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