vendredi 18 mars 2016

Fais pas ta pute, montre moi ta chatte

Pour la petite histoire, j'ai rédigé cette nouvelle après avoir demandé mercredi dernier à mes contacts facebook de m'envoyer une photo qui les inspirait. Je suis partie de l'une d'entre elles (l'image est plus bas) afin d'en arriver là:

Au chômage depuis trois mois, sa journée s'était organisée autour de son rendez-vous avec sa conseillère du Pole emploi. Elle y était allée pour lui expliquer que ses recherches étaient toujours au point mort et qu'elle ne trouvait rien dans son domaine. Elle avait pourtant un master en psychologie, mais même à Paris, elle n'avait rien de convenable, hormis quelques remplacements qui ne lui correspondaient guère. Elle essaya de prouver à son interlocutrice que sa motivation n'était pas à remettre en cause dans sa recherche. Elle tenta de lui faire comprendre qu'à 25 ans, devoir retourner dans sa chambre d'ado chez ses parents n'était pas un projet qu'elle avait envisagé quand elle avait entamé ses études. Elle entrepris de lui prouver qu'elle préférait sincèrement se lever pour quelque chose qui l'animait, plutôt que d'être fauchée et rester à glander devant la télé tous les jours. Mais sa conseillère n'écoutait rien, elle lui rappelait étrangement sa professeur de SVT au lycée : elle ne la croyait pas réellement intéressée et motivée par le sujet. Elle voulait la punir, ça se voyait dans ses expressions. Elle plissait légèrement les yeux et pinçait la bouche en l'écoutant parler. La conseillère lui reprocha de ne pas faire de formation, et lui rappela qu'elle pouvait tout de même faire l'effort de se trouver un petit boulot en attendant. Elle la revoyait tapoter sur son ordinateur. « Là, vous voyez, vous avez un poste d'agent de sécurité dans le 18ème. Vous ferez le filtrage, des rondes d'accès... C'est un CDD, mais renouvelable  
-Ce n'est pas ce que j'ai envie de faire, répondit-elle du tac au tac.
- Eh bien avec tant de mauvaise volonté, ne vous étonnez pas si l'on vous enlève vos aides au bout d'un moment. On ne fait pas toujours ce qu'on veut. »
Elle n'avait aucune envie d'argumenter. Elle n'avait aucune envie de lui dire que si elle avait fait cinq ans d'études dans une filière spécifique ce n'était pas pour faire agente de sécurité, ne serait-ce que l'espace de trois jours. Elle avait encore une dignité, elle ne la salirait pas pour de l'argent. Elle savait que son point de vue était méprisé, qu'elle se faisait passer pour une feignasse qui se laissait porter par la société, mais ce n'était pas de sa faute si cette prétendue société ne lui proposait rien qui lui correspondait. Elle n'avait aucune intention de se plier à ce chantage, et même si elle souffrait de vivre chez ses parents, même si elle se sentait vue comme une inadaptée, une marginale, comme un gros boulait qu'il fallait contrôler et dépanner, elle se refusait d'être agente de sécurité. Chacun son truc.

Il était 16h quand elle quitta le Pôle Emploi et qu'elle prit le métro, puis le RER pour rejoindre sa maison. C'étaient les heures de pointe, mais elle était trop frustrée par son rendez-vous pour se laisser déranger par la foule. Elle était debout, le regard posé sur ce jeune couple qui n'arrêtait pas de s'embrasser. Elle se sentait incomprise, et même si elle avait conscience de penser de manière ridicule, elle trouvait que rien ne tournait rond. Elle était une victime persécutée par le monde entier, personne ne l'aimait. Pas de boulot, pas d'appart, pas de mec. Comment peut-on être plus nulle ? Elle regarda son portable à plusieurs reprises, personne n'avait pris de ses nouvelles. Elle faisait défiler les images de son Facebook, qui la rongèrent encore plus. Ses amis postaient des images de leurs vies bien remplies : leurs voyages, leurs projets, leurs achats. Elle ne pouvait rien se permettre de tout ça, elle se sentait au point mort. Elle n'avait qu'une hâte, rentrer dans sa chambre et se cacher sous sa couette, même si il faisait beau et chaud. Sinon, elle pouvait se prendre une grosse cuite qui la clouerait au lit pour trois jours, ou, mieux, se faire un marathon des quatre saisons de Newport Beach jusqu'à la fin de la semaine. C'étaient ses deux remèdes doudou depuis presque dix ans, et vu qu'elle n'était qu'une chômeuse, qu'une pariât de la communauté, elle avait du temps à tuer.

C'est à ce moment là qu'elle remarqua qu'un homme, debout face à elle, la dévisageait avec insistance. Ce n'était pas la première fois que ça arrivait, mais elle préféra détourner le regard. Elle trouvait toujours ces manières très intrusives, mais elle finit par le regarder furtivement. Il se lécha les lèvres de manière équivoque en la dévisageant. « Beurk »-se dit-elle en son fort intérieur « encore un pourri». Puis, elle tira sur sa jupe, pour cacher ses jambes, comme si elle avait quelque chose à se reprocher. Elle regardait par terre, fixait un point dans le vide, préférant l'ignorer.
« He ! Salut toi ! T'es mignonne tu sais ! » Le mec en question s'était mis à lui parler. Sa voix était assez forte, quelques personnes sursautèrent étonnées, puis, repartirent dans leurs pensées. Elle fit comme si elle ne comprenait pas qu'il s'adressait à elle, continua de fixer son point imaginaire.
« He ho ! C'est à toi que je cause ! Tu sais que t'es bonne dans ta petite jupe moulante ? »
Elle était terriblement mal à l'aise, elle farfouilla dans son sac, en quête de ses écouteurs, afin de ne plus l'entendre parler, mais elle ne les trouva pas. En désespoir de cause, elle repris son portable et fit défiler ses mails pour la énième fois en vingt minutes.
« Dis donc ! C'est pas par ce que t'es bonne que tu dois me bêcher la miss! Tu préfères pas que je t'amène à l’hôtel et que je te défonce par tous les trous ? » Autour d'elle les gens baissaient le regard, ils étaient aussi gênés qu'elle. Elle se sentait rougir, et ses mains devinrent particulièrement moites. Elle aurait souhaité que quelqu'un le fasse taire. Cet homme qui lisait son journal aurait pu se lever et prendre la parole, ou même ce groupe de jeunes qui riait fort il n'y avait même pas deux minutes, ou ce couple qui semblait subitement absorbé par une tache sur le strapontin. Mais personne ne dit rien.
Elle ne pouvait compter que sur elle pour riposter :
« Laissez moi tranquille »-Murmura t'elle.
«Sois pas farouche, je vais m'occuper de toi comme il faut, t'inquiètes ».
« Putain, je fais quoi ?- pensait-elle- Il me reste encore huit stations avant de sortir, c'est l'heure de pointe, si je retourne sur le quai, j'en aurais encore pour une heure trente avant de rentrer chez moi. D'un autre côté, il commence à vraiment me mettre mal à l'aise ».
Il fit un pas vers elle, il se faufilait entre les gens, il n'était plus qu'à une cinquantaine de centimètres d'elle. Elle s'agrippa à sa barre, elle sentait la nausée monter. « Ne t'angoisses pas, tu n'es pas seule, il ne pourra rien faire avec tout ce monde autour. C'est juste de la provocation, ne fais pas attention ». C'est alors que l'homme lui saisit la main avec force. Puis, d'un geste machinal, il lui fit faire des allés-retours suggestifs sur la barre de métro. Elle avait beau essayer de dégager sa main, il était physiquement plus fort qu'elle et la pression était beaucoup trop grande pour qu'elle puisse sortir de son emprise. Elle voulait crier, lui dire de cesser, mais elle n'arrivait pas à parler. Elle sentait sa gorge nouée par de gros sanglots prêts à sortir. Elle détourna le regard, les secondes devenaient interminables. Les gens atour étaient devenus invisibles, autant que la scène leur semblait inobservable. On aurait dit qu'il ne se passait rien d'anormal.
Le visage de l'homme n'était plus qu'à quelques centimètres du sien, quand il lui souffla tout en lui continuant de lui saisir la main « Allez, fais pas ta pute, montre moi ta chatte ! »
Elle essaya de nouveau de se dégager, elle voulait sortir à l'arrêt suivant mais elle était glacée, comme pétrifiée. Elle avait beau se démener, elle n'arrivait pas à reprendre suffisamment de forces dans ce combat silencieux. C'est à ce moment là, que tout en lui gardant la main plaquée à la barre, qu'il lui remonta la jupe, et inséra son autre main dans sa culotte. Le geste ne dura que quelques secondes, juste le temps d'explorer son anatomie. Pour elle, le temps s'arrêta. Sa vue se brouilla soudainement, et elle se senti envahie par la honte. Elle vit comme un objet, son intimité exposée à tout le monde. Elle suppliait les gens du regard. A sa gauche, une jeune femme assise fit semblant de dormir, et mis son pull sur les yeux, une vieille dame sembla soudainement absorbée par son dernier roman de Marc Lévy, et, elle remarqua un jeune costaud augmenter le son de ses écouteurs. Personne ne réagissait. La rame était silencieuse, paisible. Elle voyait les immeubles et les tags de la périphérie défiler à toute allure, elle voyait les dernières lueurs du soleil percer les nuages et se poser sur cette jeune femme au visage cachée sous son tricot. « Achevez-moi ».
Elle avait l'impression d'être sortie de son corps, que ce qui se passait n'était pas réel, qu'elle finirait par se réveiller.


Le métro s'arrêta à sa halte, l'homme sortit immédiatement la main de sa culotte, elle baissait les yeux, elle ne voulait pas qu'il voit qu'elle pleurait, elle ne voulait pas qu'il croit qu'il avait pris le dessus sur elle. Elle lui aurait bien craché à la gueule, mais il partit sans se retourner, en sifflant la marseillaise. Elle se retrouva en plein milieu de la rame de métro, sa jupe relevée, les jambes chancelantes, le cœur battant à la chamade. Personne n'osa croiser son regard, personne ne lui dit un mot, personne ne lui céda sa place. Elle finit son trajet debout, silencieuse, choquée, sa main toujours accrochée à sa barre qu'elle avait branlé une vingtaine de secondes. Finalement, peut-être que les gens n'avaient rien vu ? Tout avait été si rapide, peut-être qu'ils n'avaient pas remarqué qu'il lui avait pris la main avec force, et qu'il avait furtivement plongé la main dans sa culotte ? Non. Elle savait très bien que ce genre de geste n'était pas anodin, et qu'il se distinguait des autres. Elle savait très bien que tout le monde avait vu.

Elle rentra chez elle salie, honteuse, coupable, en colère. Elle se doucha plusieurs fois, se jura de ne plus jamais remettre de jupe, puis, regarda Newport Beach.

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